rain
Développeur : SCE Japan Studio (PlayStation C.A.M.P./Acquire)
Éditeur : Sony
Année : 2013
Support : PlayStation 3
Genre : infiltration/plates-formes
Un petit garçon, cloué au lit, aperçoit une jeune fille par sa fenêtre. Elle semble être invisible, et pourtant les gouttes de pluie qui s’abattent sur elle font apparaitre sa silhouette au grand jour, permettant par la même occasion à un grand croquemitaine ténébreux, lui aussi invisible, d’apercevoir la demoiselle et donc de la poursuivre d’un pas pesant – et menaçant. Bien décidé à secourir la fragile inconnue, le petit garçon va s’élancer hors de sa maison…pour découvrir que c’est toute la ville qui a désormais basculé dans l’étrangeté : sous une pluie incessante, les rues semblent en effet vidées de leurs âmes – et désormais hantées par de nombreuses créatures invisibles, qui ne prennent forme que lorsque les gouttes de pluie ruissellent sur leurs silhouettes. Le petit garçon va alors faire une découverte encore plus déstabilisante : depuis qu’il a quitté son lit, il est frappé par le même mal que celui qui semblait ronger la fillette. Il est, lui aussi, à présent complètement translucide.
J’ai toujours beaucoup aimé SCE Japan Studio. En plus d’alterner entre les grosses productions et des projets plus modestes, ce studio aux multiples facettes (team Ico, Project Siren, Acquire…) et à la réputation désormais solide connait parfois l’immense honneur de voir ses « petits jeux » dépasser les frontières du PlayStation Store. C’est ainsi, qu’au Japon, nous avons eu la chance de pouvoir compter sur des sorties en boîte de titres pourtant réputés comme « mineurs ». Ce fut par exemple le cas des sympathiques THE LAST GUY et TOKYO JUNGLE, ou encore de RAIN. Ce dernier, distribué initialement en dématérialisé en 2013, a été remis sur le devant de la scène par Sony en juin 2014, en pleine saison des pluies, avec une édition boîte au Japon uniquement. Ça valait le coup d’attendre, diront les vieux gamers endurcis et allergiques à la dématérialisation.
L’idée de base de RAIN, quand bien même elle se déroulerait essentiellement de nuit, est lumineuse : un petit garçon invisible mais dont on devine les courbes lorsqu’il est sous la pluie. Vous pouvez de suite deviner l’intérêt vidéoludique de la chose : sous un abri, notre personnage est complètement invisible et peut donc se cacher des créatures qui rodent – aussi immatérielles que le petit garçon. Mais en passant à nouveau sous la pluie, votre personnage s’affichera alors clairement à l’écran et pourra par conséquent attirer l’attention des ennemis environnants – dont The Unknown, un monstre affreux et récurrent qui ne va vous laisser aucun répit. Certaines phases de course-poursuite fonctionnent vraiment et il n’est pas rare de voir notre petit cœur s’emballer au rythme des coups de butoir que dégage chacun des pas, cruellement pesant, de cette effrayante créature.
En jouant avec la pluie, en passant de la visibilité à l’invisibilité, vous serez donc capables de vous cacher, de passer dans le dos des différents monstres du jeu, d’actionner des mécanismes sans courir le risque d’être découvert. Oui, RAIN emprunte autant aux jeux de plates-formes qu’à l’infiltration – relativement basique, certes, mais efficace. Mais pour être vraiment indétectable, il vous faudra aussi être discret – attention à ne pas sauter dans une flaque d’eau, à ne pas renverser des bouteilles qui trainaient par là. Prenez garde également aux petites mares d’eau boueuse : certaines parties de votre corps pourraient alors se colorer d’un marron très indélicat, et ainsi vous révéler aux yeux des créatures malignes (comme la maladie ?), avec en tête de liste le terrifiant The Unknown.
Le principe directeur du jeu est donc vraiment efficace, et intuitif. On comprend tout très vite, et le petit garçon se dirige avec une facilité déconcertante : courir, sauter, marcher discrètement, voire parfois exécuter des actions contextuelles via le bouton d’action (grimper à une échelle, actionner une manivelle, pousser une porte, ouvrir un parapluie – ah non pas ça, ce serait trop facile !). L’aventure est alors constituée d’une succession de tableaux qui vous demanderont parfois un semblant de skill (pour quelques sauts) et un tout petit peu de matière grise – pour résoudre des énigmes plutôt simples, ou trouver la manière la moins dangereuse de passer les défenses ennemies. Si on meurt parfois, on passe le plus souvent les différents chapitres du jeu sans transpirer le moins du monde. RAIN est en effet un jeu extrêmement facile, et son intérêt ne réside aucunement dans la mise à mal d’un quelconque challenge, mais plutôt dans le voyage qu’il propose – un voyage rapidement enrichi d’un deuxième personnage (une petite fille) qui va vous suivre et que vous devrez ponctuellement secourir. Un peu à la ICO (Ueda Fumito figure d’ailleurs dans la liste des remerciements à la fin du jeu). Ce qui fait plaisir, dans RAIN, c’est l’intelligence de la petite fille en question. Oubliez les boulets que vous deviez vous trimballer dans DOKURO ou…RESIDENT EVIL 5. Ici, le personnage géré par l’IA prendra toujours la bonne décision et vous facilitera la vie. Au détriment du challenge ? Sans doute, et c’est mieux ainsi. Comme je l’ai dit précédemment, RAIN a autre chose à proposer. Oui il faut de tout pour faire un monde. Des jeux difficiles qui demandent aux joueurs de se retrousser les manches. Et d’autres, plus reposants, qui correspondent davantage à l’idée que je me fais d’une expérience éthérée.
Le gros point fort du jeu est donc bel et bien sa direction artistique – littéralement à tomber. Les décors dégagent une magie rare, renforcée par le choix un peu old school de la caméra imposée : attendez-vous à des angles de vue absolument magnifiques. Ajoutez à cela les couleurs, l’architecture des bâtiments et ce véritable pied de nez à la réalité : on ne sait plus trop si on navigue dans une vraie ville, récente, ancienne ou oubliée (l’Europe du XXème siècle ?), ou dans les limbes. Voire un rêve ? Les enfants sont-ils seulement sortis de leurs lits, entraperçus au début de l’aventure ? L’illusion est parfaite et donne toujours envie d’avancer, d’en savoir plus. De simplement découvrir un nouveau tableau – à la peinture à l’eau ? C’est fort probable puisqu’il ne s’arrête en fait jamais de pleuvoir ! Ce parti pris des artistes ayant développé le jeu fait basculer l’ambiance dans une très étrange mélancolie – renforcée par les musiques. Oui, dans RAIN, il pleut des (instruments à) cordes. Un coup de maître, surtout que l’élément liquide est aussi un élément essentiel du gameplay – j’en parlais plus haut : l’eau vous révèle aux yeux des créatures, et les flaques de boue peuvent vous trahir même une fois protégé de la pluie.
Hélas…sous la pluie c’est aussi tout le level design qui prend l’eau. Certes tout cela est beau – que dis-je : magnifique. Mais niveau construction des niveaux, élaboration des énigmes, choix des chemins à parcourir voire des secrets à découvrir, RAIN boit la tasse. Le jeu est en effet très « plan-plan », en pleine ligne droite et sans aucun passage secret ou petit bonus à se mettre sous la dent. Enfin si, il y a bien les « mémoires » à récolter, dispersées çà et là sur la carte. Sympa. Sauf que ces secrets ne sont récupérables qu’une fois le jeu terminé une première fois. Damned, quelle idée saugrenue ! Du coup et sachant qu’il n’y rien de caché nulle part, on avance assez vite sans se soucier du reste. C’est, à mon sens, le principal défaut de RAIN : ses tableaux étendus, ses ombres trompeuses et ses nuances de gris, sa jolie vue en 3D caméra imposée…oui tout cela permettait aux développeurs d’inclure une foultitude de passages dissimulés, de trompe-l’œil ou d’objets cachés. Un vrai gâchis.
RAIN n’en demeure pas moins une expérience qui vaut le détour – si vous correspondez au profil du joueur susceptible de fondre sous des trombes d’eau. C’est beau. C’est original. On est littéralement transporté. Les deux enfants du jeu se révèlent également sacrément attachants – et certains signes qui ne trompent pas (petite fille qui tousse, petit garçon qui grelotte) viennent nous rappeler que l’histoire prétendument fantasmée de RAIN est peut-être plus triste et plus grave qu’un conte de fée à la sauce Disney. Alors certes, RAIN a des défauts et n’est pas un grand jeu. Mais un grand jeu, c’est quoi pour la presse spécialisée et pour les joueurs étant nés après l’avènement d’Internet ? Un énième MARIO KART ? KILLZONE: SHADOW FALL, le simulateur de promenade dans l’espace qui en met plein la vue ? Un nouvel ASSASSIN’S CREED livré avec sa horde de DLC et sa cohorte de bugs en tous genres ?
Le fin mot de l’histoire ? Ou…les fins maux de l’histoire – rapport aux difficultés que traversent les enfants. RAIN n’est pas un grand jeu, et c’est tant mieux. Il ne cède pas aux sirènes des titres AAA (disons plutôt Ah Ah Ah !) et ne se force pas à faire du grand public pour plaire au joueur lambda. RAIN passe ainsi entre les gouttes pour cultiver sa propre identité. Et on aurait tort de le lui reprocher.
Graphismes : 4/5
Gameplay : 3/5
Bande-son : 4/5
Durée de vie : 2/5
Note globale : 13/20
Note testeur : 15/20
RAIN est court mais dense – c’est toujours mieux que long et ennuyeux. RAIN est facile mais enivrant. Sa clé de voute : une direction artistique exceptionnelle qui donne envie de plonger tête la première dans les torrents de pluie inondant ce monde urbain…bien étrange. Hélas…le jeu promettait énormément, mais ses développeurs ne semblent pas en avoir exploité toute la substantifique moelle : le level design est relativement pauvre, un crime de lèse-majesté quand on dispose de tels tableaux et d’une telle direction artistique pour habiller le tout. Avec un tout petit peu plus d’audace, c’était le 18/20 assuré.
Images : jeuxvideo.com